AMÉRIQUE - Géographie

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AMÉRIQUE - Géographie

L’ensemble du continent américain représente 41 900 000 km2, soit 28,2 p. 100 des terres émergées. Il est à peu près équivalent à la masse des terres asiatiques (42 300 000 km2), quatre fois plus vaste que l’Europe jusqu’à l’Oural; l’Afrique, enfin, ne représente que les trois quarts de sa superficie totale.

La disposition territoriale permet de distinguer deux grands blocs: le triangle nord-américain, qui se termine au sud du Mexique actuel et couvre 21 312 000 km2 (14,2 p. 100 des terres émergées), et l’Amérique du Sud, autre triangle de 17 700 000 km2 (12 p. 100). Entre les deux, un isthme, doublé d’un chapelet d’îles, forme un double pont de chaque côté des deux mers intérieures, le golfe du Mexique et la mer Caraïbe. La surface globale de ces étroites bandes de terre, tourmentées et morcelées, atteint 2 900 000 km2 et représente 2 p. 100 des terres émergées du globe.

1. Le continent

Position

Sur une représentation de la sphère terrestre, le continent américain apparaît comme une barrière continue entre l’Atlantique à l’est et le Pacifique à l’ouest, un obstacle aux relations entre les rives occidentales du Vieux Monde et les rivages orientaux où se développent les terres asiatiques. En vain les premiers explorateurs ont-ils cherché un passage tout au long de ces rivages pourtant fort découpés: au nord, les ramifications qui entourent les îles de l’archipel, entre le Canada et le Groenland, de la terre de Baffin, au sud-est, à la terre de Grant, au nord-est, sont prises par les glaces; au sud, le passage tempétueux du cap Horn n’est pas une coupure car il est doublé à peu de distance par le détroit de Magellan (583 km de longueur); tous les deux sont fort peu praticables et l’homme, faute de trouver un passage naturel commode, a dû se résoudre à couper lui-même l’isthme de Panamá.

Cette barrière, si on y inclut le demi-continent nordique du Groenland, s’étire du nord au sud sur 1390 de latitude, soit sur plus de 15 450 km de longueur en suivant à vol d’oiseau le grand arc de méridien depuis 830 de latitude nord, à l’extrémité septentrionale du Groenland, jusqu’à 560 de latitude sud, au cap Horn.

Mais il ne s’agit pas d’une simple arête ou même d’un alignement continu: deux masses continentales, l’une projetée vers l’ouest, l’autre attardée vers l’est, par rapport à un mince pédoncule, font que les points extrêmes atteints en longitude sont aussi très largement répartis à la surface du globe: 1350, soit une ouverture comparable à celle de la latitude, séparent les franges de l’Alaska, 1700 de longitude ouest (sans compter l’alignement des îles Aléoutiennes qui se prolongent 200 plus à l’ouest), du cap Branco situé au nord de Recife (Brésil) par 350 de longitude ouest.

Ainsi l’Amérique du Nord rejoint presque l’Asie au nord-ouest, puisque le détroit de Béring, long de 200 km, n’est large que de 92 km et souvent profond de moins de 50 m, alors qu’elle est isolée du Vieux Monde par l’immensité de l’océan Atlantique septentrional (5 700 km de New York au Havre). Au contraire, grâce à cette torsion qui décale l’Amérique du Sud vers l’est, le Pacifique s’élargit démesurément quand on va vers le sud (10 000 km de San Francisco à T 拏ky 拏; 18 000 de Quito à Bornéo) alors que l’on ne compte que 3 000 km de l’avancée nord-est du Brésil au renflement central de l’Afrique occidentale.

Formes

Le triangle septentrional est plus ramassé (6 500 km de l’ouest de l’Alaska à la pointe sud-est de Terre-Neuve, dans sa partie la plus large, qui est aussi la plus septentrionale, et 6 000 km depuis le nord du Canada continental au sud du Mexique) mais il est plus largement pénétré par la mer: de profonds rentrants comme la baie d’Hudson, le golfe du Saint-Laurent, le golfe du Mexique; de multiples indentations comme les grands estuaires de la côte est des États-Unis (Hudson, Delaware, Chesapeake); de longues péninsules plus ou moins découpées (Floride, Californie, guirlandes occidentales de l’Alaska, morcellement des archipels au nord du Canada et à l’ouest: archipels Alexandre, Prince-de-Galles, de la Reine-Charlotte, île de Vancouver...).

C’est au centre que l’interpénétration de la terre et de la mer est la plus considérable: sur plus de 2 000 km, depuis l’isthme de Tehuantepec (210 km de largeur) dans le sud du Mexique, et exception faite de la péninsule du Yucatán, le lien de terre ferme n’excède jamais 500 km de largeur. Il se double de l’arc des guirlandes insulaires des Grandes et des Petites Antilles et des Bahamas.

Au sud, le triangle sud-américain est à la fois beaucoup plus effilé et beaucoup plus massif: 7 600 km du nord au sud, des côtes du Venezuela et de la Colombie à la pointe de la Terre de Feu. 6 000 km d’est en ouest, de Recife à Guayaquil. Mais les côtes ont peu d’ouvertures: à l’est, les bouches de l’Amazone, l’estuaire de la Plata, la baie de Tous-les-Saints à Bahia ou la baie de Rio de Janeiro ne sont que des échancrures, et la côte ouest est encore plus rectiligne, ne s’ouvrant guère qu’en Équateur, au golfe de Guayaquil. Il faut atteindre le sud du Chili pour retrouver une imbrication de la terre et de la mer dans les alignements d’îles qui s’égrènent au sud de Puerto Montt.

Le caractère massif de la côte orientale de l’Amérique du Sud et son dessin triangulaire donnent l’impression de pouvoir s’ajuster à celui du golfe de Guinée, large indentation dans la côte occidentale africaine, d’autant que des parentés structurales et géologiques existent sur les rives de ces deux continents. Ces données ont permis à Wegener de lancer sa fameuse hypothèse sur la dérive des continents: c’est à partir d’une déchirure initiale que l’Afrique et l’Amérique du Sud se sont éloignées l’une de l’autre et forment maintenant deux masses continentales là où n’existait, en des ères géologiques reculées, qu’un seul ensemble de terres.

La double dissymétrie

La première est une dissymétrie nord-sud. Alors que le demi-continent nord-américain est situé entièrement au nord du 14e degré de latitude nord, avec un développement des surfaces surtout entre les 30e et 55e parallèles, c’est-à-dire dans les zones subtropicale, tempérée et froide, le demi-continent sud est traversé par l’équateur presque dans sa partie la plus large, et les terres les plus étendues et les plus massives se situent entre l’équateur et le tropique du Capricorne: c’est donc un continent essentiellement intertropical et seule sa pointe méridionale atteint les latitudes tempérées. L’Amérique du Sud se termine au nord du 56e parallèle, latitude au-delà de laquelle s’étend plus du quart de l’Amérique du Nord, y compris le Groenland. Il faut, en outre, ajouter les effets dus aux inégalités climatiques entre l’hémisphère Nord et l’hémisphère Sud pour apprécier toute l’importance de ce décalage, vers le nord, des Amériques par rapport à l’équateur.

À côté de cette dissymétrie, une autre, tout aussi importante, est constituée par la disposition du relief: de la pointe nord-ouest de l’Alaska à l’extrémité sud-est de la Terre de Feu, une suite ininterrompue de montagnes toujours vigoureuses, parfois grandioses, touchent les rives occidentales du continent et forment vers l’ouest une puissante barrière, quelquefois étroite et précise comme en Équateur ou en Bolivie méridionale (150 km de largeur), mais le plus souvent multiple, large, ramifiée, composite, comme aux États-Unis (1 700 km) ou dans la région frontalière du Pérou et de la Bolivie (700 km). En Amérique centrale, l’ossature de l’isthme et, plus au nord, le Mexique septentrional sont formés par ces cordillères. Vers l’est, au contraire, au nord et au sud, on plonge vers les plaines, les plateaux, les vieilles montagnes ou parfois les golfes marins. La façade orientale de l’Amérique s’ouvre sur l’Atlantique, et partant vers l’Europe et l’Afrique; elle est incomparablement plus accueillante et plus propice aux vastes établissements humains que sa façade ouest.

Tous ces traits physiques fondamentaux: allongement nord-sud, barrière à la fois éloignée du Vieux Monde et opposée à la recherche directe de l’Asie par les Européens, structure extrêmement massive, déséquilibre par rapport à l’équateur, dissymétrie de la disposition du relief expliquent, à des titres divers, la physionomie de l’Amérique, aussi bien le cadre physique du milieu que sa pénétration et sa mise en valeur par l’homme.

2. Le milieu physique

La disposition longitudinale du relief

Le relief est caractérisé par l’absence de compartimentage de détail, analogue à ce qui existe en Europe occidentale, par exemple; il a donc offert à l’occupation humaine un vaste cadre, aux amples paysages, propices à la constitution de grands États plutôt qu’au morcellement politique. Des masses grandioses présentent une disposition zonale nord-sud et, généralement, les montagnes sont situées à la périphérie par rapport à des zones centrales basses.

En Amérique du Nord, le relief s’articule autour du creux de la baie d’Hudson et de ses abords; ce creux se prolonge en se rétrécissant vers le sud, occupé par le déploiement des Grands Lacs et les ramifications du bassin du Mississippi, tandis qu’il est encadré par des montagnes, tant à l’ouest (nord-nord-ouest - sud-sud-est) qu’à l’est (nord-est - sud-ouest), et même, au nord-est, par les hauteurs du Groenland. De même, en Amérique du Sud, le creux amazonien, prolongé par le bassin de l’Orénoque au nord et celui du Paraguay-Paraná au sud, est encadré à l’ouest, au nord-est et au sud-est par des systèmes montagneux.

En effet, comme toute masse continentale, ces deux demi-continents se sont formés autour de noyaux fort anciens, les «boucliers», zone résistante, ultérieurement plus ou moins recouverte par des sédiments, à la périphérie desquels des zones de plissement ont créé progressivement les grandes chaînes de montagnes que l’on voit maintenant dans les régions subcôtières. Ce mouvement est si caractéristique que l’étude détaillée des reliefs des Rocheuses ou des Andes, par exemple, montre l’élaboration progressive de ces épaisses accumulations de chaînes montagneuses parallèles allant depuis l’époque géologique secondaire, au contact du bouclier, jusqu’à la période actuelle, dans l’extrême bande côtière.

Les boucliers et leurs prolongements

Ces vieux noyaux des continents jouent un rôle important. Au nord, le bouclier proprement dit forme essentiellement les abords de la baie d’Hudson, qu’il encadre sur une largeur d’environ 1 000 km, et se prolonge par la terre de Baffin. Il se présente sous la forme d’un vieux plateau constitué de roches fort anciennes, archéennes et primaires, de nature cristalline, volcanique ou sédimentaire, anciennement plissées et maintenant si usées qu’elles donnent un relief généralement aplani: les roches apparaissent tour à tour raclées jusqu’à la nudité, creusées de nombreux lacs ou recouvertes, sporadiquement, de restes dus aux anciennes moraines glaciaires. Ce socle rigide disparaît progressivement au nord sous la mer, et à la périphérie sous une couverture de sédiments secondaires de plus en plus épais, qui constituent les grandes plaines nord-américaines depuis les Grands Lacs jusqu’au golfe du Mexique. À l’est, exceptionnellement, le long du bas Saint-Laurent, le socle entre directement en contact avec les chaînes plissées orientales.

Au sud, le bouclier a subi des affaissements transversaux où se sont constitués de vastes géosynclinaux, ultérieurement occupés par des dépôts sédimentaires plus récents et drainés maintenant par les grands bassins fluviaux de l’Amérique du Sud. Le socle apparaît ici divisé en trois noyaux: au nord, il forme le substratum du massif des Guyanes; au sud-est, il s’étend largement dans le plateau brésilien; à l’extrême sud, il ne constitue que des noyaux réduits, ossature presque masquée du plateau patagonien.

Ces socles rigides ne sont que le reste d’anciennes masses continentales ultérieurement disloquées et effondrées, comme à l’est de la Patagonie, ou bombées et disparaissant soit progressivement sous les sédiments plus récents, comme au sud de la baie d’Hudson, soit rapidement le long des grands géosynclinaux bordiers d’où ont surgi les montagnes plissées récentes, comme c’est la règle générale vers l’ouest. Il s’agit donc là de l’ossature même du continent.

Les bourrelets montagneux orientaux

Du côté de l’océan Atlantique, les montagnes du continent forment des hauteurs morcelées et isolées. Elles ont en commun plusieurs caractères: elles n’ont pas de sommets très élevés et ne dépassent jamais 3 000 m d’altitude; elles ne sont pas majestueuses comme les cordillères occidentales, mais ont le plus souvent des formes lourdes, des alignements géométriques de faible ampleur. On n’y connaît pas de zones de volcanisme récent. L’époque de leur formation originelle est ancienne, même si elles ont été rajeunies plus tard. Au point de vue géologique, elles correspondent en grande partie à des morceaux de socle cassés, faillés et portés à une certaine altitude, parfois doublés de terrains plissés relativement anciens.

Ces bourrelets montagneux constituent, du nord au sud, les Appalaches, à l’est de l’Amérique du Nord. Cette zone montagneuse s’étend sur 3 600 km environ depuis Terre-Neuve jusqu’au nord du golfe du Mexique; sa largeur varie de 200 à 400 km; elle culmine à un peu plus de 2 000 m d’altitude. Vers l’est, elle tombe sur une plaine côtière, formée de sédiments récents, qui s’incline doucement du côté de l’océan Atlantique et se termine par une côte amphibie, découpée de profonds estuaires et jalonnée d’îles. Vers l’ouest, elle est limitée au nord par les derniers Grands Lacs, Érié et Ontario, et par le chenal du Saint-Laurent, tandis qu’au sud-ouest elle se prolonge largement par le plateau appalachien. Du nord-est au sud-ouest, on distingue deux aspects principaux: au nord de la vallée de la Mohawk et de l’Hudson, il s’agit des hauteurs montagneuses de l’est du Canada et de la Nouvelle-Angleterre, formées d’un plateau et de petits massifs qui culminent au mont Washington à 2 090 m d’altitude. Ils sont séparés les uns des autres par de profondes vallées qui sont souvent des fossés tectoniques, comme celui du Connecticut. Au sud de la Mohawk, les Appalaches proprement dites sont formées de quatre bandes parallèles: le piémont, la région des crêtes et des vallées, le plateau appalachien et un bas plateau intérieur qui fait la transition avec les grandes plaines.

Au nord-est de l’Amérique du Sud, le petit massif des Guyanes s’étend d’ouest en est, sur 900 km de longueur et presque autant du nord au sud, dans sa partie centrale. On en retrouve une apophyse, à l’est, au Suriname, avec la sierra Wilhelmine et les monts Orange. Mais la partie principale est à l’ouest, au Venezuela, et constitue la ligne de hauteurs formant frontière avec le Brésil. Le point culminant est le mont Roraima (2 810 m), point de rencontre des frontières du Venezuela, du Guyana et du Brésil. Ce massif est constitué par des sommets arrondis et des vallées étroites, correspondant souvent à des dislocations tectoniques, et couronné par de grandes tables gréseuses.

Au sud de la vallée de l’Amazone, de vastes régions, de hauteurs modérées, s’étendent depuis le nord-est du Brésil jusqu’à la région de Pôrto Alegre. Elles constituent, à l’intérieur, un vaste plateau, le Mato Grosso, qui se différencie dans la partie orientale, où il est fractionné par de grands fossés tectoniques, comme celui de la vallée du São Francisco, ou soulevé en bourrelets montagneux, parfois situés à une certaine distance de la mer comme la chapada Diamantina (État de Bahia), la serra do Espinhaço (État de Minas Gerais), ou dominant directement la côte comme la fameuse serra do Mar de Rio de Janeiro. Le point culminant de ces chaînes est le Pico da Bandeira (2 851 m). Ces deux ensembles du massif des Guyanes et des hauteurs brésiliennes sont séparés des Andes par d’assez vastes plaines peu élevées au drainage parfois incertain, comme entre le bassin de l’Amazone et celui de l’Orénoque où l’on peut, à la saison des pluies, passer en barque d’un système hydrographique à l’autre. L’altitude des coupures ne dépasse guère 200 à 300 m.

Au contraire, au sud, le plateau patagonien s’appuie aux Andes. Il descend d’ouest en est, mais il est un peu plus élevé au sud où il s’abaisse de 1 500 à 600 m. Ici, les morceaux de socle granitique sont pratiquement noyés sous la masse des coulées volcaniques et des sédiments plus récents.

Les grandes cordillères occidentales

De l’extrémité occidentale de l’Alaska à la pointe orientale de la Terre de Feu et au cap Horn, s’allonge, se ramifie et se courbe la plus grande chaîne de montagnes du globe. Si l’on tient compte des courbes et des apophyses, on peut en évaluer la longueur à plus de 20 000 km. Mais il s’agit, en réalité, d’un ensemble fort complexe par sa nature, ses origines, ses époques de formation et ses aspects naturels. Au nord-ouest, en Alaska, deux grandes chaînes formées par les monts Brooks au nord et les monts d’Alaska au sud encadrent le bassin du Yukon; la chaîne méridionale qui suit étroitement la côte est jalonnée de plusieurs volcans en activité et par les trois sommets les plus élevés de l’Amérique du Nord: le mont McKinley (6 194 m), le mont Logan (6 050 m) et le mont Saint Elias (5 486 m); ces deux derniers s’élèvent à la frontière entre l’Alaska et le Canada. De la frontière canadienne au centre du Mexique, les chaînes prennent une direction nord-ouest-sud-est.

Elles sont constituées par une chaîne côtière, plus ou moins ennoyée dans la partie septentrionale, où elle forme en Colombie britannique une série d’archipels et la grande île de Vancouver; elle est découpée aux États-Unis en hauts blocs séparés par de profonds fossés, tels que la sierra Nevada ou la presqu’île de Californie, les fossés du Sacramento et du San Joaquín, la fameuse vallée de la Mort (Death Valley) qui descend jusqu’à 84 m au-dessous du niveau de la mer, le golfe de Californie. À l’est s’étend une série de hauts plateaux recouverts, au nord, par de larges épanchements volcaniques, et constituant, au sud, de vastes déserts aux formes et aux couleurs extraordinaires. Plus à l’est encore, la puissante cordillère des montagnes Rocheuses forme la limite de la masse montagneuse occidentale. Depuis le nord de la Colombie britannique où les Rocheuses prennent le relais des Monts Mackenzie, jusqu’au sud du Nouveau-Mexique, elles se suivent en une vigoureuse masse de plissements dont les sommets culminent à plus de 4 000 m; les Rocheuses tombent brusquement par des dénivellations de 2 000 à 3 000 m sur les plateaux intérieurs qui descendent vers les grandes plaines.

En Amérique centrale, relief et structure se compliquent; l’ensemble des montagnes mexicaines correspond aux cordillères occidentales des États-Unis. Elles se décomposent en deux chaînes: la sierra Madre occidentale et la sierra Madre orientale, séparées par un triangle de hauts plateaux. Le volcanisme récent apparaît largement, surtout dans le grand bloc ouest-est qui porte le haut bassin de Mexico et relie entre elles les deux sierras à leur extrémité méridionale. C’est là que l’on trouve les plus hauts sommets du Mexique avec l’Orizaba (5 699 m) et surtout le Popocatépetl (5 450 m), dont le sommet neigeux est visible de la capitale. Au niveau de l’isthme de Tehuantepec, une coupure presque complète traverse cette zone montagneuse. Au-delà, la cordillère est fractionnée par une série de dépressions tectoniques, dont les deux plus importantes sont celle qui est occupée par le lac de Nicaragua et celle qui a été utilisée pour le percement du canal de Panamá. Quant à l’ossature montagneuse de l’arc insulaire, elle est formée par une grande déviation orientale des cordillères, avec direction ouest-est dans la partie septentrionale, nord-sud dans les Petites Antilles où s’élèvent des volcans dont le plus célèbre est à la Martinique (montagne Pelée, 1 397 m). Cet arc se retrouve au Venezuela dans la branche la plus orientale des cordillères de l’Amérique du Sud.

Les chaînes montagneuses sud-américaines peuvent être divisées en trois parties: jusqu’au centre du Pérou, les cordillères sont vigoureuses, séparées par de profonds fossés tectoniques dont celui du río Magdalena est le plus remarquable; les volcans forment les principaux sommets, le plus élevé est le mont Chimborazo (6 310 m). Du centre du Pérou jusqu’au 30e parallèle, les cordillères s’écartent et se multiplient: on en compte jusqu’à quatre entre la Bolivie et le Chili septentrional. Elles enserrent de hauts plateaux, souvent occupés par des lacs (lac Titicaca); elles sont couronnées par un nombre impressionnant de sommets de plus de 6 000 m. Au sud, les Andes redeviennent plus étroites, elles culminent à l’Aconcagua (6 959 m) au nord-est de Santiago, puis s’abaissent progressivement jusqu’au sud où elles sont découpées par de nombreuses vallées transversales et émiettées en une série d’îles dans les grands archipels du Chili méridional.

Cette puissante barrière montagneuse tombe rapidement sur la côte; elle est bordée le long du Pacifique par de profondes fosses sous-marines, notamment au sud de l’Alaska, au large de la Californie et le long des côtes péruvienne et chilienne. C’est au voisinage des cordillères côtières que l’on rencontre le plus grand nombre de volcans et les témoignages des glissements les plus récents et des grands tremblements de terre comme ceux de l’Équateur et du Pérou (1868), de San Francisco (1906 et 1989), du Chili (1960), du Venezuela (1967), du Mexique (1985). Des sondes de pétrole ont même été déformées en Californie, attestant la permanence de mouvements contemporains.

L’importance du rôle des glaciations

Pour achever de caractériser les aspects du relief du continent américain, il faut encore souligner le grand rôle joué par les glaciations passées. Leur importance reflète la dissymétrie de la position du continent par rapport à l’équateur. Dans le nord, on trouve des traces de glaciation généralisée jusqu’au 38e parallèle, et même dans la plaine, jusqu’au nord du confluent de l’Ohio et du Mississippi.

Certains accidents majeurs des paysages, comme la direction des cours d’eau dans le Nord, l’existence des Grands Lacs, la multiplicité des petits lacs, sont le résultat direct de cette action. À l’ouest, dans la montagne, la glaciation complète n’avait guère affecté la région que jusqu’au 46e parallèle, c’est-à-dire jusqu’au bassin de la Columbia et aux Rocheuses septentrionales; au-delà, il y a eu des glaciations de montagnes de type alpin qui n’ont pas façonné tout le relief, mais ont laissé comme traces de nombreux cirques et vallées. Les côtes de ces régions septentrionales du continent sont entaillées de magnifiques fjords, comme au Labrador ou à l’ouest du Canada.

En Amérique du Sud, les effets de la glaciation ont été tels, dans toute la partie méridionale, qu’ils ont contribué à morceler la grande chaîne andine en une série de blocs, traversés par des lacs et des vallées dans le sens est-ouest, résultat du passage et du travail des anciens glaciers. Ici aussi, un dédale de fjords magnifiques se ramifie entre des îles boisées et peu élevées parce que rabotées jadis par les glaciations.

Les conditions générales du climat

L’étirement du continent en latitude a pour corollaire une grande variété climatique. On passe normalement des terres glacées du Nord canadien aux chaudes moiteurs étouffantes équatoriales, pour retrouver au sud de l’Argentine des températures basses et des climats brumeux. On peut dire schématiquement que, dans les plaines de l’est, le climat équatorial occupe le bassin de l’Amazone, les climats tropicaux humides ou secs poussent jusqu’au 30e parallèle au nord, jusqu’au tropique au sud, les climats tempérés de plus en plus frais jusqu’au Saint-Laurent au nord, et pratiquement jusqu’à l’extrémité de la Patagonie au sud.

Mais cela n’est pas vrai sur toute la largeur du continent. D’autres éléments introduisent des modifications si totales qu’on peut trouver à la latitude même de l’équateur toute la variété des températures et toute la gamme des cultures et des végétations qui se succèdent sur d’immenses versants. Que ce soit au Mexique, où s’étagent classiquement terres chaudes, terres tièdes et terres froides, ou sur les versants andins, on passe de la culture de la canne à sucre et du coton à celle des orangers, puis au maïs et aux haricots, enfin à la prairie d’altitude, avant de trouver les neiges éternelles.

En effet, la disposition du relief, l’importance des masses continentales et la température des eaux marines exercent tour à tour une influence prédominante qui peut effacer celle de la latitude.

Relief et climat

Le relief exerce son influence de plusieurs manières.

Les cordillères, qui bordent les rives occidentales, continues, massives et élevées empêchent une large pénétration des influences adoucissantes et régulatrices du Pacifique, aux latitudes tempérées où la circulation atmosphérique se fait normalement d’ouest en est. Dans l’étroit cordon isthmique de l’Amérique centrale, et surtout dans les Antilles, où prédominent les vents alizés soufflant du nord-est, l’opposition entre le versant au vent très arrosé et le versant sous le vent, beaucoup plus sec, est également un élément caractéristique dû à cette ossature montagneuse.

En second lieu, la disposition des terres élevées à l’ouest et à l’est de l’Amérique du Nord comme de l’Amérique du Sud laisse au centre de vastes couloirs de plaines. Cela favorise la pénétration des masses d’air polaire qui, en hiver, s’avancent très loin; ces influences déterminent des coups de froid ou des vents froids qui peuvent se faire sentir au sud jusque sur le plateau brésilien et en Amazonie centrale, au nord, jusqu’au sud des Grands Lacs. Les vents froids ont reçu des noms caractéristiques: le norte du Mexique, le friagem du Brésil équatorial, le pampero d’Argentine... En dehors des coups de froid, ces conditions particulières à la circulation atmosphérique engendrent également des mélanges, dans les masses d’air polaire et équatorial, qui déclenchent des tornades et des orages fréquents et redoutables.

Mais l’élément le plus caractéristique du relief est sans doute la perturbation générale déterminée par les grandes masses de terre des cordillères occidentales. En effet, celles-ci créent un milieu absolument original: sous l’équateur même, les terres cultivées montent jusqu’à 4 000 m; au-dessus, on trouve encore des pâturages et un élevage extensif. Les neiges éternelles, qui descendent jusqu’à 700 m dans la Terre de Feu, ne se trouvent ici qu’autour de 5 000 m; Quito, la capitale de l’Équateur, située à 2 800 m, jouit d’un éternel printemps. À mesure qu’on s’éloigne de l’équateur, les limites des différentes zones de végétation et de cultures baissent régulièrement, plus rapidement vers le sud que vers le nord. Les terres cultivées montent encore jusqu’à 3 400 m au Venezuela, jusqu’à 2 500 m au Mexique. Les chaînes montagneuses, coupées de vastes hauts plateaux, ont permis, grâce à leur climat tempéré, la plus forte concentration de population des États andins.

Enfin, au sud-est du Brésil, une série de bourrelets montagneux parallèles à la côte détermine une pluviosité importante et permet à certaines régions comme celle de Rio de Janeiro de bénéficier d’une véritable «résurgence» du climat tropical humide qui est celui du bassin amazonien, situé bien plus au nord.

Il est intéressant de rapprocher la carte du relief de celle des grandes zones climatiques.

Alizés et moussons

Une autre composante, non négligeable, des phénomènes climatiques américains est leur soumission à deux grands faits de circulation atmosphérique planétaire.

Les alizés, générateurs de pluies, de la zone intertropicale soufflent en direction inverse de part et d’autre de l’équateur; l’alizé du nord-est frappe de plein fouet les côtes orientales de l’Amérique centrale, des Antilles et des Guyanes, tandis que l’alizé du sud-est fait sentir ses effets sur le rebord du plateau brésilien. Ils subissent, du fait du déplacement de l’équateur thermique, au rythme des saisons, un «balancement» en latitude, leur zone d’action étant décalée vers le nord en été et vers le sud en hiver.

Quant au phénomène de mousson, célèbre dans la périphérie méridionale et orientale du continent asiatique, il existe également ici, en raison même de l’opposition entre des masses considérables de continents et d’océans. La région où il est le mieux marqué est le pourtour du golfe du Mexique en Amérique du Nord: cette mer intérieure est une véritable providence pour les plaines des États-Unis qui l’entourent au nord. En été, les grandes plaines surchauffées forment une zone de basse pression, relativement à l’Atlantique, et cette différence de pression donne naissance à un puissant appel d’air humide océanique qui se développe, favorisé par la disposition du relief et la rotation de la Terre, non seulement jusqu’au pied des Rocheuses, mais jusque sur le flanc des Appalaches, et peut s’avancer jusqu’au 50e parallèle, formant ainsi un véritable golfe de propagation des influences tropicales. Un phénomène analogue favorise l’avancée des masses d’air atlantiques au nord-est et au sud-est en Amérique du Sud. Il contribue à augmenter les pluies en Amazonie: aussi le versant oriental des Andes équatoriales doit-il sa forte humidité aux précipitations d’origine atlantique malgré les 4 000 km qui l’en séparent.

Ainsi, en été, c’est-à-dire de juillet à septembre dans le Nord, de janvier à mars dans le Sud, une grande partie des subcontinents américains se trouve sous la dépendance climatique des masses d’air venues de l’océan Atlantique et les influences tropicales s’y répandent largement en latitude. Ces caractéristiques sont plus marquées en Amérique du Nord qu’en Amérique du Sud.

Quant à l’Amérique centrale, elle doit à l’étroitesse et au morcellement de terres émergées ainsi qu’à leur fort relief, qui favorise les condensations, d’échapper au sort du climat désertique qui frappe, en Afrique, le Sahara et ses prolongements, situés en grande partie aux mêmes latitudes. On peut donc dire que, dans l’ensemble, la situation des masses continentales et des régions très fortement pénétrées par la mer est beaucoup plus favorable dans le Nouveau Monde que dans l’Ancien Monde.

Les courants océaniques

Il n’en va pas de même en ce qui concerne les courants qui se produisent dans les océans au large des côtes, et qui contribuent, souvent largement, aux anomalies climatiques des continents, bouleversant les conditions de la vie humaine. On sait que l’Europe occidentale doit certaines particularités heureuses de son climat au déplacement de grandes masses d’eau chaude venues du golfe du Mexique, partie des régions tropicales de l’Atlantique, et poussées par les vents jusqu’au nord des îles Britanniques et des États scandinaves. Au contraire, la presque totalité des côtes américaines subissent l’influence de courants froids défavorables, surtout à l’ouest.

Le long de la côte du Pacifique, deux grands courants froids suivent le littoral. En Amérique du Sud, le courant de Humboldt, venu de l’ouest, heurte la côte du Chili central et suit les rives de l’Amérique du Sud jusqu’au nord du Pérou. En Amérique du Nord, le long de la côte de Californie et d’une partie de l’Amérique centrale occidentale, des remontées d’eau froide se produisent, tandis que, au contraire, la Colombie britannique et les rives sud de l’Alaska bénéficient d’un courant d’eau relativement tiède venu des latitudes plus tempérées de l’océan Pacifique. Le long des côtes atlantiques, un grand courant froid, issu des régions circumpolaires arctiques, s’insinue le long de la côte du Labrador et de l’est des États-Unis jusqu’au large de New York, écartant les eaux chaudes de la dérive atlantique centrale qui se propagent vers le nord-est et les côtes de l’Europe occidentale. Symétriquement, l’extrémité méridionale de l’Amérique du Sud est bordée par les eaux froides du courant de Patagonie. Au contraire, depuis le río de la Plata jusqu’à la région de New York, les courants côtiers sont tous constitués par des eaux chaudes. La présence de ces courants agit sur le climat des côtes voisines en le réchauffant ou en le refroidissant: ainsi la Colombie britannique occidentale, soumise à la fois aux influences adoucissantes des vents océaniques et aux eaux tièdes du Kouro-shivo, jouit d’un climat relativement privilégié aux hivers doux. La température moyenne annuelle est la même dans l’archipel Alexandre (570 de latitude nord) qu’au sud de Terre-Neuve, où se fait sentir le courant froid du Labrador (470 nord). Mais ces courants agissent aussi indirectement et peuvent modifier, d’une manière beaucoup plus radicale, les conditions climatiques régionales. Le courant de Humboldt, déterminant une condensation au large des côtes chilienne et péruvienne, forme un véritable écran aux influences océaniques venues du Pacifique et crée, au bord même de la mer, un des déserts les plus absolus du monde.

Les grandes zones climatiques

La combinaison de tous ces facteurs substitue à la division zonale, parallèle à la latitude, un véritable quadrillage.

Les anomalies sont surtout sensibles dans le domaine des précipitations: toute la partie occidentale des continents, bordée par des courants froids, même si elle est occupée par des reliefs élevés, connaît une aridité plus ou moins totale. Ainsi en est-il du versant ouest des Andes et de la plaine côtière qui les frange, depuis le sud du golfe de Guayaquil jusqu’à Copiapó, et des régions contiguës du nord-ouest du Mexique et du sud-ouest des États-Unis. Ces zones d’aridité se poursuivent et traversent les continents en écharpe: en Amérique du Nord, entre les cordillères, s’étendent les déserts du Colorado, du Nevada et, plus au sud, des hauts plateaux mexicains: ces zones très peu humides se poursuivent également le long du versant oriental des chaînes montagneuses et dans toute la partie occidentale des grandes plaines. L’isohyète de 500 mm a un tracé nord-sud depuis l’ouest du golfe du Mexique jusqu’à la côte occidentale de la baie d’Hudson. En Amérique du Sud, ces zones d’aridité englobent les hauts bassins des Andes de Bolivie, le nord de l’Argentine (désert du Chaco et steppes de la Pampa) et se terminent dans le plateau patagonien.

Quant aux isothermes, leur tracé fait ressortir, outre le rôle des grands éléments montagneux, l’influence des masses continentales, plus chaudes en été et plus froides en hiver que les régions côtières. Les températures sont plus tempérées sur le versant de l’Atlantique.

Dans l’ensemble, les zones climatiques correspondent à des bandes ouest-est, à l’est du 100e méridien en Amérique du Nord, et du 70e ou 75e méridien en Amérique du Sud; partout ailleurs, elles sont plutôt longitudinales. On distingue: la zone côtière du Pacifique avec un climat maritime à étés frais; au nord du 42e parallèle et jusqu’au 34e parallèle un climat méditerranéen, suivi par une zone d’aridité jusqu’au 25e parallèle; puis un climat tropical humide (savanes) jusqu’à la latitude de Panamá, un climat tropical très humide (forêts) s’étendant alors dans la zone la plus humide jusqu’au sud du golfe de Guayaquil, puis une nouvelle zone d’aridité jusqu’à Copiapó, enfin un climat méditerranéen jusqu’au nord de Valdivia et un climat maritime occidental dans l’extrême sud.

Le long des cordillères règne un climat de type montagnard qui se retrouve le long des chaînes côtières et dans les Rocheuses aux États-Unis, dans les montagnes du Mexique et les cordillères andines. Entre ces chaînes, en Amérique du Nord, les hauts plateaux et les bassins ont des climats steppiques ou désertiques que l’on retrouve également sur le versant oriental des Andes de Bolivie et du Chili. En Amérique centrale, les zones climatiques suivent les détails du relief et de l’exposition: climat tropical très humide (forêts) sur les côtes exposées au nord et au nord-est (influence des alizés) et tropical humide (savanes) sur les côtes sous le vent.

Le reste des subcontinents septentrionaux et méridionaux peut être partagé en grandes zones climatiques ouest-est: la zone de la toundra couvre les franges septentrionales du Canada, l’archipel et les côtes du Groenland, dont le centre disparaît encore sous une calotte de glaces. De l’Alaska méridional à Terre-Neuve règne un climat subarctique. Ensuite se succèdent, sur le sud du Canada et l’est des États-Unis jusqu’au sud des Grands Lacs, un climat continental humide, à étés frais, puis un climat continental humide à étés chauds, jusqu’au confluent de l’Ohio et du Mississippi; et, enfin, un climat subtropical humide, à étés chauds, jusqu’au golfe du Mexique. Seule l’extrême pointe de la Floride a déjà un climat tropical humide (savane) que l’on retrouve à Cuba et dans le Yucatán. En Amérique du Sud, l’ensemble du bassin amazonien et une grande partie de la côte nord-est ont un climat tropical très humide (forêts); cette zone est encadrée par deux zones symétriques qui englobent, au nord, le Venezuela et les Guyanes et, au sud, l’intérieur du Brésil et qui sont également tropicales humides, mais où les précipitations sont moindres (savanes). En raison de la présence des chaînes côtières à l’est du Brésil central, des conditions d’humidité plus accusées réapparaissent. Au sud du tropique, dans le Brésil méridional et les alentours du río de la Plata, existe un climat subtropical humide, qui fait place vers le sud au climat tempéré, avant d’atteindre l’aridité plus froide du plateau patagonien.

Le milieu naturel du Nouveau Monde offre donc généralement à l’homme un cadre aux amples dimensions, un cadre où les phénomènes physiques sont remarquables, plus par leur puissance et leur homogénéité que par leurs nuances et leur variabilité.

3. L’occupation humaine

Le peuplement de l’Amérique

Les premières hypothèses sur le peuplement de l’Amérique remontent au siècle même de la découverte du Nouveau Monde par l’Europe. Elles correspondent à la vision de l’époque, celle d’un monde à la fois chrétien et admirateur de l’Antiquité classique. Les explications proposées quant à l’origine de ces êtres, auxquels il a bien fallu, après maintes hésitations, reconnaître le statut d’homme (bulle du pape Paul III en 1537), se fondent donc sur la Bible et les textes des auteurs grecs et latins. C’est ainsi que les «Indiens» d’Amérique sont tour à tour considérés comme descendants des Assyriens, des Phéniciens, des Égyptiens, des Hébreux, des Troyens, des Grecs, des Étrusques, des Romains, des Scythes; plus tard seront évoqués les Tartares, les Chinois, les Africains, les Vikings, les Basques et d’autres peuples encore.

Si toutes ces hypothèses sont depuis longtemps abandonnées, elles ont été remplacées par diverses théories pseudo-scientifiques qui s’obstinent à voir dans les Amérindiens les arrière-petits-fils de visiteurs extraterrestres, des rescapés de l’Atlantide ou de l’hypothétique continent de Mu. Qu’importe si les arguments sont tendancieux et si les faits archéologiques cités sont toujours faux ou déformés; ils ne servent qu’à démontrer l’indéracinable besoin de merveilleux qui caractérise notre siècle.

En dehors de toute explication fantaisiste, le problème du peuplement initial de l’Amérique constitue une des questions majeures que se posent les préhistoriens spécialistes du Nouveau Monde. Il est l’objet d’une controverse sans cesse renouvelée et, curieusement, la masse grandissante des données apportées chaque jour par des découvertes nouvelles, tant dans le domaine de l’archéologie proprement dite que dans celui, inséparable, de la géologie du Quaternaire, semble contribuer davantage à compliquer et à multiplier les hypothèses qu’à clarifier le débat.

En effet et sans que l’on s’explique bien pourquoi, les discussions à ce propos revêtent presque toujours un aspect passionnel, nuisant à l’objectivité comme à la valeur des arguments utilisés.

C’est ainsi qu’il existe, principalement parmi les spécialistes nord-américains, une école conservatrice qui refuse d’admettre la possibilité d’une présence humaine en Amérique antérieure à 14 000 B. P. environ (before present , c’est-à-dire avant 1950) ou 12 000 avant notre ère. Elle s’appuie encore, de manière consciente ou non, sur les arguments et les opinions catégoriquement négatives émises par l’anthropologue A. Hrdlicka dans les premières décennies du XXe siècle. Pour lui, en effet, l’homme fossile américain n’existait pas et aucun vestige – reste humain, faune ou outil – ne pouvait être antérieur à un Postglaciaire d’ailleurs encore mal défini à l’époque (se terminant aux alentours de 漣 6000?). Le prestige de Hrdlicka était alors grand et ses conclusions probablement fondées en ce qui concerne les trouvailles qu’il avait eu à examiner. Mais ses continuateurs les érigèrent en dogme que les nouvelles découvertes et les progrès indéniables des techniques de fouille et de datation ont encore du mal à ébranler. Dès 1926, la découverte à Folsom (Nouveau-Mexique, États-Unis) d’un squelette de bison appartenant à une espèce disparue et associé à une pointe de projectile taillée obligea même les plus inflexibles à reculer à une dizaine de milliers d’années la limite fixée par Hrdlicka. Aujourd’hui cependant, les «conservateurs» n’accordent guère qu’un âge de 13 000 ou 14 000 ans aux premiers témoignages qu’ils acceptent de considérer comme humains.

Aux conservateurs s’opposent, avec une égale intolérance, les partisans enthousiastes d’un homme américain beaucoup plus ancien, arrivé sur ce continent dès 40 000 ou 50 000 ans, voire plus tôt encore. Si nombre des gisements et des vestiges souvent cités à l’appui de cette thèse ne répondent pas aux exigences scientifiques minimales (une stratigraphie claire, des datations absolues multiples et bien contrôlées, des objets d’origine indiscutablement humaine et associés de manière incontestable aux datations proposées), il faut cependant reconnaître que, depuis une vingtaine d’années, diverses découvertes sont venues remettre sérieusement en cause le dogme d’une installation récente de l’homme en Amérique.

Les questions posées ne se limitent d’ailleurs pas à définir l’ancienneté du peuplement. Elles concernent également l’origine géographique des premiers Américains et les voies qu’ils empruntèrent. Outre les archéologues, interviennent alors les géologues et les glaciologues, les océanographes, les palynologues, les paléontologues et les biologistes. Tenants de disciplines diverses qui ne travaillent pas tous à la même échelle, dans l’espace comme dans le temps. Les données sont parfois contradictoires, les évaluations imprécises et leur synthèse est difficile. Nous résumerons successivement les données paléontologiques et biologiques, puis géologiques et climatologiques, avant d’examiner les faits plus proprement archéologiques.

L’hématologie et l’histoire du peuplement

Aucun anthropoïde actuel ou fossile qui puisse être ancêtre ou cousin d’un rameau humain n’a jamais été découvert en Amérique, où les plus anciens restes humains retrouvés ne remontent guère au-delà de 10 000 ou 11 000 ans et appartiennent presque tous à la variété mongoloïde de Homo sapiens sapiens , aucun ne présentant de traits néandertaloïdes. Ce qui semble bien indiquer que l’homme américain est venu de l’Ancien Monde et plus précisément d’Asie, à une date relativement récente. Une simple observation des traits morphologiques permet d’ailleurs de constater de fortes ressemblances entre les Amérindiens et les Asiatiques: pigmentation de la peau, aspect du système pileux, forme du visage et forme de l’œil, entre autres caractères extérieurs.

Si l’origine en majorité asiatique des Amérindiens est en effet assez bien démontrée, on doit toutefois se demander plus précisément de quelle région d’Asie ils provenaient – doit-on admettre une seule ou plusieurs origines, comme le suggérerait le polymorphisme des cultures et des langues? On doit aussi s’interroger sur la répartition des populations nouvellement arrivées dans l’immensité du continent américain. Et enfin, faut-il admettre que l’apport asiatique fut le seul ou doit-on accepter l’hypothèse d’apports océaniens dont Paul Rivet, se fondant sur des données essentiellement linguistiques et culturelles, soulignait l’importance dès 1943? Une discipline relativement nouvelle, l’hématologie, a renouvelé cette approche. Nous savons maintenant que, à la différence des populations européennes, africaines et asiatiques actuelles dans lesquelles coexistent des individus des groupes A, B, AB et O (avec des fréquences variables selon les populations), tous les Amérindiens non métissés appartiennent au groupe sanguin O, à l’exception d’une tribu de la côte nord-ouest des États-Unis où domine le groupe A. De la même façon, les Amérindiens ont tous (ou presque tous: de 99 à 100 p. 100) un facteur Rhésus positif. Enfin, le facteur Diego, découvert en 1955 dans le sang de la tribu indienne du même nom au Venezuela, est fortement représenté chez les tribus amérindiennes depuis le nord-ouest de l’Amérique du Nord jusqu’au Brésil; il est fréquent dans les populations indigènes d’Asie orientale, alors qu’il n’existe pas chez les Européens et les Africains. Dernier apport de l’hématologie: la découverte du système HLA et sa recherche au sein des populations encore non métissées (de plus en plus rares) d’Amérique, qui a mis en évidence, d’une part, une homogénéité certaine, d’autre part, une forte ressemblance avec les Mongols. Toutes ces études ont permis de définir précisément le sang des Amérindiens et, au-delà, d’éclaircir l’histoire de leurs migrations. Non seulement l’origine asiatique de la plupart d’entre eux a été confirmée, mais, selon Jean Bernard (1983), les premières migrations pourraient remonter à environ 50 000 ans, dans la mesure où «les hémoglobines asiatiques, européennes, africaines ne sont trouvées dans le sang des Amérindiens qu’en cas de métissage [...]. Les caractères sanguins des Amérindiens, comme leur morphologie, les rapprochent des populations les plus anciennes d’Asie, permettent de les rattacher à ce rameau asiatique primitif qui avait à peine amorcé sa différenciation dans le sens mongoloïde au moment où il atteignait l’Amérique». Voilà donc singulièrement confortée la thèse d’un peuplement initial d’origine asiatique, sans pour autant nier qu’il y ait eu, au cours des millénaires, des apports complémentaires venus surtout, comme le pensait Rivet, d’Océanie, et dont l’hématologie, encore elle, est venue confirmer la haute probabilité.

L’environnement arctique au Pléistocène. Les voies de migration

Dans la mesure où la plupart des préhistoriens s’accordent aujourd’hui pour faire venir du nord-ouest, c’est-à-dire de Sibérie, les premiers occupants de l’Amérique, il est alors essentiel de pouvoir reconstituer l’environnement nordique américain et de connaître l’importance et le moment des transformations ayant, depuis une centaine de milliers d’années, affecté la région. C’est en effet de cette reconstitution que dépendent à la fois l’évaluation des chemins que l’homme a pu emprunter pour pénétrer en Amérique puis descendre vers le sud, et celle des périodes durant lesquelles cela a été possible.

Les transformations les plus importantes furent la conséquence des fluctuations climatiques de la dernière glaciation du Quaternaire, appelée en Amérique Wisconsin et plus ou moins contemporaine du Würm européen. Au Sangamon, dernière grande période interglaciaire américaine, succède, il y a environ 110 000 ans, une période d’instabilité climatique suivie d’une poussée froide accentuée qui atteint son maximum vers 漣 70 000. Une seconde crue, un peu moins forte, se produit entre 漣 25 000 et 漣 15 000, pour refluer ensuite de manière relativement rapide. À ces deux avancées froides correspond donc un développement des calottes glaciaires qui recouvrent pratiquement tout le nord de l’Amérique du Nord au-dessus du 45e degré de latitude nord, mais épargnent une grande partie de l’Alaska et du Yukon, ainsi que l’essentiel de la Sibérie. Les masses glaciaires constituent deux ensembles: à l’est, l’immense inlandsis des Laurentides qui recouvre le Labrador, le Keewatin et la terre de Baffin, à l’ouest, la calotte glaciaire des Rocheuses qui recouvre la chaîne montagneuse et s’étend jusqu’au Pacifique et, au nord, jusqu’à l’Alaska. Aux mêmes moments (maximums glaciaires), le niveau des océans se trouve considérablement abaissé (de 漣 60 à 漣 150 m par rapport au niveau actuel, selon les diverses estimations), un volume d’eau considérable étant retenu sous forme de glace; émerge alors, à l’emplacement du détroit de Béring (dont la profondeur actuelle n’excède guère une cinquantaine de mètres), un pont terrestre – la Béringie – large de plus d’un millier de kilomètres et qui englobe la Sibérie orientale, l’Alaska, le Yukon et une partie des îles Aléoutiennes. Ainsi, durant ces crues glaciaires, l’homme avait théoriquement la possibilité de passer «à pied sec» d’Asie en Amérique.

À partir de ce schéma assez général pour ne pas être contesté, les hypothèses se multiplient et divergent. En effet, la reconstitution plus détaillée qu’exige le préhistorien devient plus incertaine. Même si les habitants de la Sibérie ont pu, durant les périodes les plus froides, pénétrer en Alaska, pouvaient-ils pour autant descendre plus au sud, ou se trouvaient-ils bloqués? À leur maximum d’extension (soit autour de 漣 70 000 et 漣 30 000, puis entre 漣 25 000 et 漣 15 000 selon les dernières estimations), les deux grands glaciers des Laurentides et des Rocheuses fusionnèrent-ils, constituant, comme le pense Hopkins (1967), un véritable barrage de glace infranchissable du Pacifique à l’Atlantique, ou exista-t-il toujours un «corridor» interglaciaire, ouvert de façon continue ou intermittente – s’ouvrant au milieu du Yukon puis se rétrécissant le long des Rocheuses pour s’élargir dans la région de l’actuelle Calgary –, par lequel une ou plusieurs vagues de peuplement humain auraient eu la possibilité de progresser vers le sud? Une autre proposition, soutenue par Fladmark (1982, 1983), étant que la calotte glaciaire des Rocheuses, même à son maximum d’extension, laissa toujours subsister une bande de terre émergée le long du littoral pacifique de l’Alaska et de la Colombie britannique, ainsi qu’une succession d’îles, par lesquelles une communication entre la Béringie et les régions situées au sud des inlandsis fut toujours possible. Cela reste cependant difficile à démontrer, ne serait-ce que parce que les territoires susceptibles d’avoir été ainsi traversés ou occupés par l’homme sont aujourd’hui submergés.

Si l’on retient l’hypothèse d’une traversée de la Béringie théoriquement possible à deux grands moments du passé – autour de 70 000 puis entre 30 000-25 000 et 15 000 B. P. –, on doit alors se demander quel type humain était concerné. À partir de 70 000 B. P. auraient pu pénétrer en Amérique des néandertaloïdes, mais aucun indice de Néandertalien n’a encore été retrouvé en Asie orientale, non plus, comme nous l’avons dit plus haut, qu’aucun présapiens en Amérique. Ou bien de très anciens Homo sapiens sapiens , ancêtres des mongoloïdes actuels, mais dont les restes n’ont pas non plus été retrouvés. Entre 30 000 et 15 000 B. P. (durant le second maximum glaciaire du Wisconsin), des vestiges associés, selon leurs inventeurs, à l’homme (mais sans qu’on ait trouvé le moindre squelette) font également l’objet de controverses qui s’atténuent à mesure qu’on se rapproche de 15 000 B. P. À partir de 15 000 B. P. enfin, l’attribution à l’homme – cette fois sans conteste possible un Homo sapiens sapiens – de divers gisements et vestiges n’est plus guère contestée.

Les plus anciens gisements archéologiques

Examinons maintenant les faits archéologiques et les différentes hypothèses qu’ils étayent avec plus ou moins de bonheur. Actuellement, trois thèses s’affrontent. Quelques chercheurs suggèrent une arrivée très ancienne, antérieure à la première crue froide du Wisconsin vers 漣 70 000 ou durant cette crue, entre 漣 70 000 et 漣 60 000; mais cela ne repose que sur des spéculations – généralement les arguments d’ordre géologique que nous avons présentés plus haut – que l’archéologie n’a pas encore confirmées. D’autres, plus nombreux, soutiennent la thèse d’un peuplement au Wisconsin moyen, durant lequel les oscillations glaciaires furent moins importantes qu’au début ou à la fin; cette fois, quelques découvertes effectuées en Alaska et, surtout, celle d’occupations humaines antérieures à 漣 20 000 en Mésoamérique et en Amérique du Sud constituent des arguments plus solides. En Alaska, le gisement de Old Crow a livré d’abondants ossements d’animaux pléistocènes dont plusieurs, surtout des os de mammouth, présentent des traces de fracture ou de percussion dues, selon les inventeurs, à une action humaine. La localisation et le type de ces traces sont tellement systématiques que, en effet, l’hypothèse d’un travail humain ne peut être rejetée. Dans ce cas, les analyses et datations les plus récentes placeraient l’occupation de Old Crow entre 30 000 et 25 000 B. P. Au Mexique, à El Cedral, un foyer circulaire entouré de restes osseux de mammouth et de mastodonte a été daté de 31 850 梁 1600 B. P. À Tlapacoya, toujours au Mexique, des foyers à bordure de pierres, associés à des outils de pierre taillée (éclats d’obsidienne, éclats et lames d’andésite) et à des amas osseux, ont fourni plusieurs dates entre 24 000 et 20 000 B. P. Enfin au Brésil, dans la Toca do Boqueirão da Pedra Furada, une succession de niveaux contenant des foyers et une industrie taillée sur quartz et quarzite représente une séquence d’occupation allant de 32 160 梁 1000 B. P. à 17 000 梁 400 B. P.; des datations encore plus récentes repousseraient même le début de l’occupation à 40 000 B. P. environ. Même si nombre de préhistoriens contestent la nature anthropique des cendres et charbons ayant fourni les dates les plus reculées (il s’agirait selon eux de témoins d’incendies naturels), il semble difficile de rejeter la réalité d’une occupation à partir de 30 00025 000 B. P., attestée cette fois par la présence d’outils lithiques indubitablement façonnés.

Ainsi, ce faisceau d’indices commence à impressionner les chercheurs, et les présomptions se font chaque jour plus convaincantes en faveur d’un peuplement initial antérieur à 25 000 B. P. et remontant au moins à 40 000 ans. Rien de surprenant au total si l’on prend en compte le temps qui fut nécessaire aux premiers groupes humains pour parcourir les quelque 20 000 kilomètres qui séparent l’Arctique de l’extrême-sud du continent (en Patagonie, où la présence de l’homme est indubitablement attestée dès 12 000 B. P.), quelles qu’aient été les routes empruntées. Toutefois, les découvertes sont encore trop rares et le matériel archéologique est trop peu abondant pour qu’on puisse établir une filiation chronologique depuis un Paléolithique d’Asie orientale lui-même assez mal connu. La Sibérie orientale n’a pas encore révélé de gisement antérieur à 35 000 B. P., et cette évaluation est elle-même contestée.

Enfin, une troisième école, celle des conservateurs les plus obstinés – dont les réticences à l’égard des «preuves» d’ancienneté proposées ne sont d’ailleurs pas toujours dénuées de fondement –, défend la thèse d’une arrivée au cours du Wisconsin final seulement, soit entre 25 000 et 10 000 B. P. Cette fois, de nombreux gisements, tant nord que sud-américains, ont livré des témoignages non équivoques et qui ne sont contestés par personne. Outre le matériel osseux d’Old Crow déjà cité, qui, s’il n’est pas aussi âgé que le voudraient ses inventeurs, remonte au moins à 16 000 B. P., celui du gisement proche de Bluefish a fourni la date de 18 000 B. P. (datation A.M.S. obtenue sur un os travaillé pour un niveau contenant également des outils lithiques. La datation A.M.S. ou, en français, S.M.A. – spectrométrie de masse avec accélérateur – est une nouvelle méthode de datation par le radiocarbone (14C), qui permet de traiter des échantillons minuscules, de l’ordre du milligramme de carbone pur). Plus au sud, à Meadowcroft (Pennsylvanie), a été mise en évidence une des plus longues séquences stratigraphiques nord-américaines, de 19 600 梁 810 à 685 梁 80 B. P. Au Mexique et en Amérique du Sud (Venezuela, Brésil, Colombie, Pérou, Chili, Argentine), de nombreux gisements sont bien datés d’entre 15 000 et 11 000 B. P. et il est inutile de les décrire ici: on se reportera pour cela aux articles traitant de l’archéologie préhistorique de Mésoamérique et d’Amérique du Sud.

Le substratum indien

Au moment de la conquête, il existait donc une population indigène, mais les estimations varient extraordinairement: 4 ou 50 millions? L’hypothèse la plus vraisemblable estime à quelque 12 millions la totalité de ces groupements primitifs.

L’imagerie populaire qualifie les Indiens de Peaux-Rouges; la science les range dans la catégorie des Jaunes. La couleur de leur peau va du gris-jaune clair, teinte de l’argile ou du cuir tanné, jusqu’au brun plus ou moins sombre, plus ou moins rouge. Les races de l’Amérique du Nord sont plus colorées que celles du Sud; les tribus qui habitaient la forêt équatoriale épaisse avaient un teint plus clair que celles des montagnes andines, vivant en plein soleil, et dont la peau est brunâtre. Les Indiens de l’Orénoque sont presque blancs; les Aymara du Pérou sont olivâtres; les Colorado, qui ont la peau rougeâtre, se teignent avec une teinture végétale qui accroît leur pigmentation naturelle. C’est de cette coutume qu’est venu le nom de «Peaux-Rouges».

À l’époque de la conquête, les Indiens étaient fort inégalement répartis et avaient atteint des degrés de civilisation très inégaux. Certaines civilisations ont laissé des noms illustres et des témoignages incontestables de leur grandeur tels les Aztèques des hauts plateaux du Mexique central, les Mayas du Yucatán, les Incas du Pérou. Des villes entières plus ou moins déblayées des temples remarquables subsistent encore en maints endroits; quant aux objets périssables, aux statues, aux bijoux d’or, ils ont été impitoyablement détruits, emportés et refondus par les premiers conquérants.

Dans les forêts et les savanes, la cueillette, la chasse ou un élevage intensif ne permettaient pas de fortes densités de population. Mais, dans les grandes plaines ou sur les hauts plateaux, des cultivateurs avisés étaient déjà établis: chaque individu devait disposer de 20 ares environ de terres cultivées dans les Andes, de 40 ares environ dans les États-Unis du Sud-Est et du Sud. Les tribus de pêcheurs étaient aussi très développées le long des côtes et les Esquimaux occupent encore des milliers de kilomètres sur les rivages, dans les îles nordiques, et le long des fleuves. Enfin, la civilisation urbaine, du Mexique au Chili central, connaissait une grande expansion.

Les nouveaux arrivants utilisèrent les Indiens comme main-d’œuvre pour les mines et l’agriculture et ils s’installèrent plus volontiers dans les lieux où de fortes communautés indiennes avaient déjà pratiqué une certaine mise en valeur de l’espace. Mais cette exploitation sans merci, de même que les luttes violentes, souvent exterminatrices, les conversions forcées suivies de massacres, la propagation de nouvelles maladies importées du Vieux Monde et devant lesquelles les organismes indiens étaient sans résistance décimèrent rapidement la population. Dans les Antilles et sur toute la côte orientale, on peut estimer qu’en moins de 150 ans le peuplement originel disparut pratiquement. Il se montra, au contraire, beaucoup plus vigoureux sur les hauts plateaux et dans les chaînes de montagnes où le climat était plus sain et les contacts avec les Blancs plus limités.

Il est bien difficile d’évaluer quel est, à l’heure actuelle, démographiquement, l’apport indien dans la population américaine. Certaines tribus échappent encore au recensement, comme celle des Chavantes, découverts en 1946 dans la forêt amazonienne, et qui n’avaient jamais rencontré de Blancs auparavant. D’autre part, les statistiques sont fort imprécises, toute distinction raciale ayant souvent disparu, comme au Mexique depuis 1921. Enfin, le métissage, dans toute l’Amérique latine, a été considérable, alors qu’en Amérique du Nord les Indiens étaient refoulés dans les réserves. Il doit rester actuellement environ 37 millions d’Indiens en Amérique, dont 33 millions pour la seule Amérique latine. Mais une grande partie des métis, vivant dans les campagnes et les montagnes peu accessibles, continue à parler les langues indiennes et à se conformer aux coutumes traditionnelles.

L’apport indien à la civilisation américaine, et même à la civilisation mondiale, est important: des produits agricoles tels les pommes de terre, le maïs, les haricots, la tomate, le tabac, le coton, le cacao, des animaux comme le dindon sont d’origine indienne; de plus, de nombreuses villes modernes utilisent des sites indiens, comme Chicago et Mexico. À Cuzco, les fameux «murs de soie» incas servent encore de base aux maisons dans de nombreuses rues de la ville; enfin, le tracé des routes, certains points de passage fluviaux où se sont développés des ponts ou des agglomérations utilisent les pistes et les cheminements des premiers occupants.

Les apports humains de la conquête

Bien qu’il soit à peu près certain que, vers 985, un Scandinave, Erik le Rouge, ait établi les premiers centres de colonisation sur la côte du Groenland, les terres américaines n’entrent officiellement dans l’histoire qu’après la découverte de Christophe Colomb, en 1492. Mais cet événement ne fut pas suivi immédiatement d’une colonisation généralisée. Si les Espagnols et les Portugais commencèrent aussitôt à prendre pied dans ces territoires que le traité de Tordesillas, en 1494, leur partageait (les Portugais pouvaient se rendre maîtres des terres situées à l’est du 50e degré de longitude ouest, tandis que les Espagnols pouvaient s’installer à l’ouest de ce même méridien), en Amérique du Nord les Français et les Anglais pénétrèrent beaucoup plus lentement. Cabot, par exemple, découvrit Terre-Neuve dès 1497, mais la colonisation ne débuta qu’en 1610. Ainsi les Français et les Anglais prirent environ un siècle de retard sur les Ibériques. Ce retard s’explique peut-être par la nature même du pays et le peu de richesses que révélèrent les premières explorations. Au retour de ses premiers voyages en 1534-1535 vers le golfe du Saint-Laurent, Cartier n’écrivait-il pas: «Les Indiens pouvaient vraiment être appelés sauvages... ils ne possèdent rien en dehors de leurs bateaux et de leurs filets...» Or, en 1519, Cortés avait découvert les fabuleux trésors de Mexico, capitale des Aztèques. En 1531, Pizarro s’était emparé de l’empire inca, riche en or.

Au début, les Français s’occupèrent surtout du commerce des fourrures et les premiers colons furent mal vus. Quant aux Anglais, ce n’est guère qu’après le traité de 1604 avec l’Espagne, et leur renonciation officielle au commerce avec les Antilles, qu’ils s’intéressèrent à la colonisation de l’Amérique du Nord. Leurs premiers colons installés dans le Nord-Est souffrirent des rigueurs de la vie hivernale et n’auraient pas survécu sans les bateaux de secours envoyés de la métropole. Au début, les pêcheurs, les chercheurs d’or étaient plus nombreux que les fermiers. Pourtant, petit à petit, les Français comme les Anglais commencèrent à prendre solidement pied sur le continent. Ces derniers furent poussés à l’émigration par des facteurs démographiques, sociaux et religieux; les émigrants puritains, qu’ils fussent fermiers, marchands ou bourgeois, traversèrent l’Atlantique accompagnés de toute leur famille. Le premier peuplement blanc nord-américain fut formé par trois groupes de colonies, de caractères bien distincts, qui s’établirent au centre, au sud et au nord-est.

Quant aux Ibériques, nombreux furent les chefs militaires, les administrateurs et les religieux qui gagnèrent les rives de l’Amérique centrale et de l’Amérique méridionale: ils furent accompagnés d’un certain nombre de paysans qui arrivèrent, eux aussi, très tôt. De pauvres cultivateurs, rudes et privés de terres dans leur pays, natifs des plateaux du León, de la Castille, des Asturies, des sierras d’Estrémadure, du Minho, de Trás-os-Montes, gagnèrent le Mexique, le Pérou, le Chili, le Brésil. L’accès des colonies était strictement surveillé et interdit aux personnes de moralité douteuse, de religion non orthodoxe et aux femmes non mariées, sauf aux Juives et aux Mauresques. Vers 1550, on comptait déjà de 17 000 à 18 000 Castillans sur les côtes du Pacifique et, quelques années plus tard, 15 000 Espagnols au Mexique et quelque 40 000 Portugais au Brésil. Les femmes étant peu nombreuses en Amérique latine, le métissage fut important.

Cet apport de colonisation blanche, dès le XVIe siècle pour les Ibériques, à partir du XVIIe pour les Anglais, les Français, les Néerlandais, entraîna non seulement un établissement de cadres, la création de structures coloniales plus démocratiques dans le nord-est, plus aristocratiques dans le sud des États-Unis et l’Amérique latine, mais également l’enracinement d’un peuplement blanc. En outre, ces colons ont introduit des animaux domestiques et des cultures variées comme la canne à sucre, le blé, le riz, les oliviers, les agrumes; au total, plus de 150 espèces animales et végétales.

En 1790, le premier recensement des États-Unis révéla la présence de 4 millions d’hommes. Vers la même époque, on estime qu’il y avait environ 9 millions de personnes en Amérique du Sud et, pour l’ensemble du continent américain, de 20 à 25 millions d’âmes, soit 2 p. 100 de la population mondiale.

L’importation des Noirs

L’introduction des Noirs fut aussi un des effets de la colonisation. Dans ce domaine également, l’Amérique ibérique se montra particulièrement précoce. Suivant la recommandation du père Bartolomé de Las Casas, qui s’effrayait de voir les Indiens mourir en grand nombre dans les mines comme sur les plantations, on fit venir des Noirs déjà appréciés en certaines occasions dans la Péninsule. Les Ibériques, dès 1501, reçurent un premier convoi d’esclaves à Hispaniola; en 1517, les esclaves noirs sont déjà nombreux dans les plantations espagnoles du continent; en 1538, ils apparaissent au Brésil. Dans les colonies britanniques, c’est à partir de 1619 que le nombre des Noirs augmente dans les plantations du Sud (Virginie et Caroline), introduits par les négriers hollandais, puis par ceux de Nouvelle-Angleterre.

Leurs conditions de ramassage en Afrique, de voyage et de vie étaient si pénibles que la mortalité des esclaves était énorme (entre 1675 et 1700, sur 600 000 Noirs transportés, les pertes atteignirent les trois quarts). Il fallait sans cesse amener de nouveaux esclaves: on estime qu’en tout 20 millions de Noirs furent sans doute transplantés en Amérique, dont 7 millions pour le seul Brésil. Ce trafic prit fin au cours du XIXe siècle. Après la suppression de l’esclavage, la libération des esclaves et après la fin de la guerre de Sécession aux États-Unis, les conditions de vie devinrent meilleures et la population noire se développa rapidement.

Cet apport noir fut extrêmement important dans certaines régions. Dans les Antilles, il supplanta largement la population blanche: aux Barbades, en 1762, on comptait 18 000 Blancs pour 70 000 Noirs. Aux États-Unis, à la fin du XVIIIe siècle, on estime qu’il y avait 750 000 Noirs mais, au moment de la guerre de Sécession, ils étaient déjà 5 millions, dont 4 millions dans les États du Sud qui comptaient 5 millions de Blancs, et 1 million dans les États du Nord peuplés alors par 22 millions de Blancs. Ces 5 millions de Noirs sont devenus 31 millions en 1990. Les 3 millions de Noirs qui vivaient en Amérique latine lors de la suppression de l’esclavage ont quintuplé.

Officiellement, la population noire représente donc entre 8 et 9 p. 100 de l’ensemble de la population américaine. Mais il faut tout de suite introduire une réserve: les statistiques sont trompeuses. En effet, sont dits «Noirs», en Amérique latine, uniquement ceux qui sont incontestablement et absolument de race noire; sont dits «Noirs», aux États-Unis, en principe tous ceux qui ont un huitième de sang noir dans les veines, en réalité, dans certaines circonstances, tous ceux qui ont la moindre goutte de sang noir. On estime qu’à la faveur de quelques hasards heureux de 10 000 à 30 000 mulâtres passent chaque année la fameuse «ligne de couleur». Au contraire, en Amérique latine, les mulâtres sont recensés soit dans une catégorie à part, soit plus fréquemment parmi les Blancs.

Les grandes vagues d’immigrants depuis le XIXe siècle

Enfin, le dernier apport dans le peuplement du Nouveau Monde fut fourni par les vagues d’émigration que l’Europe surtout, mais aussi, à un degré infiniment moindre, l’Asie (Japonais, Chinois, habitants de l’Inde) ont déversées sur les Amériques.

Ce grand mouvement a commencé avec la révolution et l’explosion démographique en Europe, c’est-à-dire vers 1820. Il s’est amplifié suivant le rythme de la prospérité américaine et des vicissitudes économiques des pays d’origine. Certaines découvertes, comme celle de l’or, en Californie, la prospérité de certaines cultures comme le café dans l’État de São Paulo, ont provoqué de véritables déferlements de population. On peut estimer que, depuis le premier tiers du XIXe siècle, une soixantaine de millions d’Européens sont allés s’installer définitivement outre-Atlantique. La puissance d’attraction, et surtout de fixation, de l’Amérique du Nord est bien supérieure à celle de l’Amérique du Sud. Les quatre cinquièmes des émigrants se sont installés au Canada ou aux États-Unis et, au XIXe siècle, on a estimé que 76 p. 100 de ceux qui arrivaient aux États-Unis s’y fixaient définitivement. L’Amérique latine n’a guère reçu, pour sa part, qu’une douzaine de millions d’immigrants, soit environ un cinquième du total. Cela ne veut pas dire que les entrées n’aient pas été plus nombreuses, mais souvent il s’agissait d’une immigration temporaire: en Argentine, de 1910 à 1950, 20 p. 100 seulement des immigrants se sont installés définitivement.

L’attrait du Sud a donc été beaucoup moins fort que celui du Nord, ce qui s’explique tout d’abord par l’éloignement plus considérable, mais aussi par des conditions beaucoup moins séduisantes: le climat (sauf en Argentine et au Chili, et c’est là précisément que l’immigration a été proportionnellement la plus élevée), une pathologie à laquelle la médecine aussi bien que l’organisme européen n’étaient pas préparés, une économie totalement différente de celle de l’Europe freinèrent l’immigration; celle-ci fut d’autre part retardée pendant une bonne partie du XIXe siècle par la concurrence du travail servile (après l’abolition de l’esclavage, en 1888, au Brésil, les entrées se sont multipliées) et enfin par les difficultés politiques (pour l’Argentine, par exemple, jusque vers 1860). En Amérique du Nord, au contraire, les immigrants trouvaient des noyaux de colonisation fortement installés, une économie en expansion, un climat plus proche de celui auquel ils étaient accoutumés, un accueil encourageant. Selon la formule célèbre, «l’Oncle Sam avait une ferme pour chaque arrivant».

La plupart des pays européens ont participé à ce grand mouvement, à l’exception de la France: l’immigration française cessa pratiquement à partir de 1763 (traité de Paris), et seule la colonie du Canada français resta importante; les implantations françaises aux Antilles et dans les Guyanes furent toujours limitées. Les Britanniques (habitants du Royaume-Uni et de l’Irlande) fournirent le plus gros contingent d’immigrants (environ 22 millions), puis vinrent les Germaniques (Allemands et résidents de l’ancien empire austro-hongrois) avec 12 millions, les Italiens avec 10 millions, les Espagnols et les Russes avec 3 à 4 millions chacun, les Portugais avec 1 500 000. En général, on constate une localisation assez étroite des immigrants suivant leur pays d’origine: les Britanniques, les Européens du Centre et du Nord, les Russes vont presque exclusivement vers l’Amérique du Nord; les Méditerranéens, eux, sont plutôt attirés par l’Amérique latine. Les seuls que l’on trouve en nombre à peu près équivalent au nord et au sud sont les Italiens, dont les deux grands foyers d’attraction sont les États-Unis et l’Argentine. Entre 1820 et 1943, 11 p. 100 de la population italienne sont allés vers les États-Unis: 30 p. 100 venaient de la Sicile ou de Campanie, 46 p. 100 de la Basilicate ou des Abruzzes.

L’importance de cet apport est considérable dans la croissance démographique des États-Unis: entre 1900 et 1910, 41,8 p. 100 de l’augmentation de la population sont dus à l’excédent de l’immigration. En Argentine, en 1914, les étrangers forment 23,8 p. 100 de la population et l’accroissement dû à l’immigration entre 1869 et 1914 représente 18 p. 100.

Une Amérique panachée

Ces vagues multiples ont déterminé, dans l’Amérique forte de 713 millions d’habitants (environ 13,5 p. 100 de la population mondiale), un mélange de races et de peuples unique au monde. Mais si l’Amérique du Nord est le creuset des peuples, l’Amérique latine est celui des races.

On peut distinguer aux extrémités septentrionale et méridionale du continent, essentiellement dans les zones tempérées, deux Amériques blanches . Au nord, le Canada n’est peuplé que de Blancs; au sud, l’Argentine compte 98 p. 100 de Blancs: les Indiens, belliqueux et peu nombreux, ont été exterminés ou repoussés. En Uruguay, la fusion a mêlé totalement environ 40 p. 100 de sang indien et 60 p. 100 de sang blanc; il faut encore y ajouter les États du Sud et du Sud-Est brésiliens. L’Amérique rouge est celle où prédominent les Indiens, qu’ils soient de pure race ou métissés. Au Mexique, par exemple, on compte environ 29 p. 100 d’Indiens purs, 55 p. 100 de métis, 16 p. 100 d’Européens. Cette Amérique rouge s’étend depuis le río Grande au nord jusqu’à l’extrémité méridionale du Chili. Elle comporte néanmoins des nuances: le Costa Rica est un État «blanc» tout comme le Chili, où l’assimilation des Indiens s’est faite très tôt, et le Paraguay.

L’Amérique panachée comprend le Brésil, la Colombie et le Venezuela: Blancs, Indiens, métis, Noirs, mulâtres et même Jaunes (Asiatiques) entrent dans la composition de la population. Enfin, dans les îles, c’est l’Amérique brune : la disparition presque totale et rapide des Indiens n’a laissé en présence que les Blancs et les Noirs: ceux-ci prédominent, surtout à Haïti (95 p. 100 de Noirs). On peut y rattacher le sud-est des États-Unis où, dans cinq États, la proportion des Noirs par rapport à la population totale dépasse 25 p. 100 (Louisiane, Alabama, Géorgie) et même 30 p. 100 pour la Caroline du Sud et le Mississippi (35 p. 100). Ainsi, les États-Unis forment une zone de transition entre le peuplement blanc absolu et le mélange des races: pour l’ensemble du territoire, on compte, en 1990, 12,4 p. 100 de Noirs. Cette proportion est appelée à se renforcer puisque leur taux de natalité reste supérieur à celui des Blancs.

Le pouvoir d’assimilation

De tels mélanges ne sont pas sans susciter de grandes difficultés. Même entre les Blancs issus du même continent, les rapports ne sont pas toujours aisés. Les origines diverses se marquent à travers les paysages américains. Il n’est pas difficile de reconnaître à New York les rues où vivent les Italiens, les Irlandais... Cette ville est non seulement une des plus peuplées du monde, mais c’est aussi la plus grande ville irlandaise, la plus grande ville juive, la plus grande ville noire, une des plus grandes villes italiennes du globe. Les individus de même origine ont souvent l’habitude de se rassembler, non pas seulement dans les quartiers des villes, mais aussi dans les zones rurales.

Les Allemands affectionnent le Middle West, les Scandinaves la région centrale du Nord, les Polonais la ceinture des Grands Lacs et le Nord-Est. Dans le sud du Brésil, les villages de colonisation allemande se distinguent par la consommation de choucroute, de pommes de terre, l’élevage des porcs; les villages italiens par les treilles de vigne devant les maisons, la consommation du vin. Dans les noms de lieux, le style des maisons rurales, la spécialisation (laiteries suisses, maisons de vins italiennes ou espagnoles...) on reconnaît les racines originelles. Pourtant les mélanges sont parfois surprenants: André Siegfried citait l’exemple de Saint Cloud, petite ville du Minnesota, ville au nom français, fondée par les Suédois, administrée par des Irlandais, mais dont la population, à moitié allemande, s’est choisi un maire polonais.

L’assimilation se fait rapidement pour ceux qui trouvent un métier. Au Canada, 57 p. 100 des habitants reconnaissent l’anglais comme leur langue maternelle, 67 p. 100 comme la seule langue officielle et, comme on compte, en outre, 13 p. 100 de bilingues, on peut estimer que 80 p. 100 des Canadiens savent l’anglais. La fierté d’appartenir à un monde nouveau, de disposer de grandes richesses, de participer à l’élaboration ou aux réalisations de civilisations puissantes, constitue, entre ceux qui ont quitté le Vieux Monde pour se rendre outre-Atlantique, un ciment efficace. Les Occidentaux se marient entre eux, mais en respectant des groupes supérieurs à celui de la stricte nationalité: les Méditerranéens, les Slaves, les Nordiques, les catholiques, les Juifs... Entre les gens issus de l’Europe du Nord-Ouest et ceux venus de celle du Sud-Est, les unions sont rares.

Pour éviter ces difficultés, beaucoup de pays ont peu à peu pris des mesures restrictives pour le contrôle de l’immigration: loi des quotas aux États-Unis, mesures de contrôle au Brésil, en Argentine... Les premiers ont favorisé les éléments anglosaxons, tandis que les pays d’Amérique latine souhaitent plutôt la venue d’éléments latins.

Entre Blancs, la plus grande difficulté se rencontre entre Canadiens anglais et Canadiens français: ceux-ci, anciennement installés, fortement implantés surtout dans le Québec, longtemps multipliés grâce à leur forte natalité, mais peu renforcés par de nouveaux immigrés, cherchent à défendre leur originalité et revendiquent une place dans l’économie nationale et même une certaine indépendance en face du bloc anglo-saxon. On compte 6,6 millions de Canadiens – dont 6 au Québec – qui parlent français, c’est-à-dire le quart de la population totale. Le gouvernement québécois a promulgué, en 1977, une loi qui fait du français la seule langue officielle du Québec. Cependant, les francophones qui veulent monter dans l’échelle sociale doivent se plier au bilinguisme qui devient rapidement un monolinguisme, au profit de l’anglais.

Parmi les grands problèmes raciaux, la présence des Noirs aux États-Unis est un des plus complexes et sera un des plus difficiles à résoudre. En Amérique latine, le développement de l’indianisme, qui revendique pour les Indiens une élévation du niveau culturel, une amélioration du niveau de vie, une place plus grande dans les responsabilités politiques nationales, a pris beaucoup d’ampleur dans la seconde moitié du XXe siècle et a déjà provoqué de profondes réformes dans la vie de pays comme le Mexique, le Venezuela, le Pérou...

La répartition des populations

Les territoires sont loin d’être surpeuplés et la densité moyenne (17 hab./km2 en 1990) reste faible. On ne peut pas, comme en Europe, parler d’une occupation de toutes les terres utilisables. Au contraire, de vastes espaces sont encore soit complètement inhabités, comme dans l’intérieur du Brésil (dans le Centre-Ouest, on ne compte qu’un habitant au kilomètre carré), soit mis en valeur de manière extensive au moyen de machines, avec une densité de population extrêmement faible: dans les Dakotas du Nord et du Sud, 3,6 habitants au kilomètre carré et, si l’on ne compte que les ruraux, moins de 2; dans les plaines fertiles de l’Iowa ou du Kansas, la densité est respectivement de 19 et 11,7 et tombe, pour les ruraux, à 3 et 2,5.

La masse de population étant relativement réduite, la répartition est donc très sélective et elle s’est faite en fonction d’impératifs physiques et également historiques.

Le climat joue tout d’abord un rôle prépondérant: les grandes zones glacées où le climat est trop dur, comme le Grand Nord canadien, sont vides, à l’exception d’Esquimaux, ces «mangeurs de chair crue», comme les appellent avec mépris les Indiens, qui ne forment que des groupes nomades et dépérissent au contact des Blancs, rongés par l’alcoolisme, la tuberculose, la syphilis; de même la Terre de Feu n’abrite que des peuples indigènes en voie d’extinction. Vides sont également les régions équatoriales, basses et humides, où les forêts impénétrables sont répulsives pour l’homme, où les conditions de vie sont insalubres: la région amazonienne, un des plus grands déserts humains du globe; sont également presque vides d’hommes certaines zones alors que la vie serait possible si l’irrigation était développée: au Pérou, n’utilise-t-on pas encore dans certaines régions le système des canalisations d’irrigation des Incas? Dépourvus également d’hommes, les reliefs escarpés, les sommets trop élevés, les versants abrupts. Mais, à l’intérieur même des chaînes montagneuses les plus orgueilleuses, dans les hauts plateaux intertropicaux, l’altitude corrige la latitude et, dès que le relief est suffisamment modéré, l’homme s’est emparé des moindres espaces et cultive même des versants assez rapides: 50 p. 100 de la population du Venezuela vivent dans les chaînes de montagnes; les trois quarts des habitants de la Bolivie sont installés à plus de 3 000 m d’altitude. De forts noyaux de population sont concentrés dans les bassins de haute altitude des zones intertropicales.

Mais les événements historiques ont joué aussi un rôle important. En Amérique latine, étant donné la nature de la colonisation, le besoin d’hommes poussa les premiers colonisateurs à s’installer là où de forts et actifs noyaux d’habitants assuraient aux mines et aux cultures la main-d’œuvre nécessaire, tandis que la nécessité d’avoir de fréquents échanges avec la métropole imposait la création de nombreux ports: Recife, Bahia, Rio de Janeiro, Buenos Aires, Cartagena, Porto Bello, Vera Cruz, Callao, Valparaiso, et bien d’autres, étaient les portes ouvertes aux nouvelles conquêtes tout comme aux bateaux venus d’Espagne ou du Portugal. Le meilleur exemple de ce double impératif se trouve au Mexique, où le fondement de la puissance espagnole s’installa sur le lieu même des ruines de l’empire aztèque. Mexico, capitale d’hier et d’aujourd’hui, s’éleva sur l’emplacement de la magnifique Tenochtitlán, tandis que les relations étaient assurées avec l’Ibérie lointaine par le port de Vera Cruz.

De même, en Amérique du Nord, la région la plus peuplée est bien ce nord-est des États-Unis, où débarquèrent les premiers colons, autour desquels se fondèrent les premiers groupes de colonisation, et dont les villes principales se développèrent ultérieurement, aux points de jonction des transports maritimes vers l’Europe et du débouché des principales routes traversant la chaîne des Appalaches.

Ultérieurement, le développement économique se fit en fonction de deux grands impératifs: l’accessibilité qui favorisa, encore une fois, les sites côtiers, les rives des fleuves, les bords des grands lacs, les axes de pénétration des grandes voies de communication, et la découverte de richesses, surtout minières, suscitant une concentration des intérêts et de la main-d’œuvre: l’État de Minas Gerais, au Brésil, porte un nom évocateur et a toujours été, depuis la conquête, un grand centre d’exploitation minière; la «ruée vers l’or» s’est faite à plusieurs reprises et la Californie lui doit une bonne part de son essor.

La conquête du territoire

La carte fait encore apparaître des noyaux de concentration, séparés par de grands vides. Pourtant, si cette situation tend à évoluer en fonction du développement démographique et technique, on peut dire que presque toute la colonisation a été fondée, dans le passé, sur le principe des «noyaux». Le port constituait l’élément vital de l’organisation: le centre de liaison, d’importation, de peuplement, de transport de marchandises pour l’évacuation des productions des plantations et l’entrée des produits manufacturés venus des métropoles. Autour du port, selon son importance, la nature du relief, l’étendue de la mise en valeur, se développait une région d’influence plus ou moins vaste. Entre ces îlots de vie, le peuplement était rare. Cette disposition a favorisé la création de toute une série d’États politiquement indépendants. C’est le principe des «frontières creuses». Quand ces espaces sans peuplement étaient trop vastes, il en est résulté parfois des conflits à répétition, comme les fameuses guerres du Chaco.

Mais on perçoit ici des différences entre l’évolution de l’Amérique du Nord et celle de l’Amérique du Sud. En effet, ni la nature de la colonisation ni les facilités d’accès n’étaient les mêmes, au Nord, large et massif, et au Centre ou au Sud, où l’on pouvait soit contourner l’Amérique du Sud par son extrémité méridionale, soit traverser l’isthme, comme le faisaient fréquemment les Espagnols. Il en est résulté que le développement de la côte occidentale de l’Amérique latine s’est fait beaucoup plus tôt que le développement de la côte occidentale de l’Amérique du Nord.

D’autre part, au moment de l’indépendance, le Nord n’a été partagé qu’en deux grands États: le Canada et les États-Unis, qui, tous les deux, s’étendaient sur toute la largeur du continent, et dont la préoccupation a été l’expansion vers l’ouest au cours du XIXe siècle. Plus activement depuis la Seconde Guerre mondiale, s’est créé, sur les rives du Pacifique, face à cet autre grand océan et au continent asiatique, un second pôle d’attraction, une seconde base de prospérité économique. En Amérique du Sud, au contraire, la création d’une série d’États politiques périphériques fondés, à l’exception du vaste Brésil, sur les anciennes divisions de l’administration espagnole, a laissé subsister dans la partie centrale un grand vide intérieur, sauf entre l’Argentine et le Chili. Le manque d’hommes a, pendant longtemps, fait négliger l’intérieur du continent; c’est seulement depuis peu que les États andins se sont préoccupés de conquérir le revers des Andes, tandis que le Brésil amorçait une colonisation du plateau intérieur, notamment par la création de Brasília, et tentait de quadriller l’Amazonie par un réseau de communications modernes.

Mais cette diversité n’est qu’un des aspects d’oppositions beaucoup plus importantes.

Si les grandes lignes des conditions naturelles ou du peuplement font l’unité du continent américain, on ne peut négliger certaines différences et même quelques oppositions entre le Nord et le Sud. En réalité, le climat, l’origine, la nature du peuplement, le mode et l’importance de l’accroissement démographique, la structure politique et l’état d’avancement économique sont autant de traits fondamentaux sur lesquels on peut appuyer la division du continent américain en deux grands blocs.

Au nord du río Grande, c’est l’Amérique anglo-saxonne , qui comprend le Canada et les États-Unis; au sud de ce même fleuve, que les Mexicains appellent río Bravo, c’est l’Amérique latine ou plutôt latino-indienne , pour tenir compte, non pas seulement des occupants après la conquête mais aussi du substratum indien qui subsiste ici fortement. Cette Amérique latine peut, à son tour, être divisée en Amérique centrale qui comprend le Mexique, les États de l’isthme et les îles, et en Amérique du Sud qui s’étend sur la masse continentale qui fait suite à l’isthme de Panamá. En 1990, l’Amérique anglo-saxonne compte 274 millions d’habitants, l’Amérique latine 439 millions. La disparité dans les poids démographiques reste élevée mais baisse légèrement puisque le taux d’accroissement annuel de la population de la seconde a été de 2,1 p. 100 entre 1980 et 1990 (et même plus de 3 p. 100 pour l’Amérique centrale) contre 0,8 p. 100 pour l’Amérique anglo-saxonne. Cela est dû à la persistance de différence dans les taux de natalité: 42 p. 1 000 pour l’Amérique centrale, 29 p. 1 000 pour l’Amérique latine et seulement 15 p. 1 000 pour l’Amérique anglo-saxonne.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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